Concernant les prévisions, le document comme les discussions autour de la table nous montrent que nous sommes, à l’heure actuelle, incapables de prédire comment sera la reprise. En U, en V, en L, en dents de scie ? Personne ne le sait. Pourtant, le document propose quand même d’administrer un remède lourd au patient. En l’absence de diagnostic, il est hors-de-propos de se prononcer sur une mesure qui concernerait les deux prochaines années.
Il est vrai qu’il manque un acteur évident autour de la table, l’État, afin de mieux cerner comment la reprise pourrait être. Mais un acteur essentiel est bien présent : l’industrie. Concernant la reprise, l’industrie porte en elle-même des solutions, qui concernent bien les choix industriels que prennent
les directions d’entreprises. Un exemple illustre parfaitement cela.
Quand une industrie de la métallurgie allemande consomme 100€ (pour les fournisseurs, prestataires), 36€ arrivent directement dans les poches d’une autre entreprise de la métallurgie allemande. En France, ce sont 18€ qui bénéficient à l’industrie métallurgique française quand une entreprise de la métallurgie achète pour 100€ de produits à des sous-traitants. La responsabilité de l’industrie est forte : si les donneurs d’ordres se comportaient comme en Allemagne, en achetant donc au moins 36% de biens issus de la métallurgie française, on doublerait ainsi les carnets de
commandes des sous-traitants. Et ce ne sont pas les capacités de production qui manquent en France, quand on sait qu’on exporte 60% de la production de produits issus de la métallurgie hors véhicules et matériels de transport !
Pour éviter la catastrophe, il faut donc que chaque entreprise donneuse d’ordres s’approvisionne au maximum auprès d’entreprises produisant en France, ou qui au moins s’appuient sur des entreprises en France !
Ça, c’est pour la responsabilité des industriels. Il manque encore une donnée importante pour déterminer la forme de la reprise : les plans de relance. M. Mongon nous a offert une fausse alternative : la souveraineté nationale en échange d’un consentement des consommateurs à payer plus cher. Sous-entendu, si on rapatrie en France, il ne faudra pas venir se plaindre si les prix augmentent. Ce chantage traduit bien une chose : l’industrie française est prête à repartir à la guerre commerciale comme avant. Comme en 2008, on mise sur la compétitivité pour s’en sortir dans un environnement concurrentiel très rude.
Or, la proposition de la CGT dans les CSF n’est pas de déclarer une guerre commerciale perdue d’avance face à des industries bien plus performantes et structurées que nous. Au contraire, les conditions de la reprise doivent s’articuler autour d’une « voie industrielle française », qui permettrait
de produire sur le sol français les biens qui répondent à un besoin de la société.
C’est l’objectif par exemple du Centre d’innovation technique dans le domaine de l’imagerie médicale porté par la CGT : il ne s’agit pas de déclarer la guerre à des concurrents sur leurs technologies, mais bien de produire les propres technologies de radiologie qui répondraient aux
exigences des hôpitaux français. Il en va de même dans l’automobile : la Clio et la 208 sont les véhicules de nos deux constructeurs nationaux qui se vendent le mieux en France, ils doivent donc être produits en France. Et qu’on ne vienne pas parler du coût, car sinon il faudra nous expliquer
pourquoi Toyota parvient à produire une Yaris à un prix tout à fait comparable.
La question est donc bien le positionnement de l’industrie française dans les chaînes globales de valeur, pas une guerre économique nationaliste. Et sur ce (re)positionnement, nous ne doutons aucunement qu’il existe de nombreux dirigeants talentueux et créatifs qui seraient capables de saisir
les opportunités afin de réorienter les productions dans le but de répondre à de nouveaux besoins.
C’est là encore la responsabilité des industriels français d’être à la hauteur.